Page d’histoire : Il y a 46 ans (26 février 1977-26 février 2023), était créé l’un de grands orchestres de la musique congolaise « VIVA LA MUSICA » !

Épisode 2. LA CRÉATION DE VIVA LA MUSICA.

Jules Shungu, prisonnier à Makala

A cause d’une relation amoureuse avec une fille dont le père était un homme influent sous le régime Mobutu, l’une des vedettes de l’orchestre en vogue en 1976, Yoka-lokole, Jules Shungu Wembadio est arrêté et conduit à la prison centrale de Makala.
Des interventions en faveur du célèbre prisonnier, en provenance de Brazzaville et de Kinshasa, vont faire en sorte que Jules Shungu soit libéré après trois jours de détention.

Conflit de leadership au sein de Yoka Lokole

Après sa sortie de prison, Wembadio est très déçu du comportement de ses collègues musiciens de Yoka-lokole à son égard. Non seulement personne n’est venue lui rendre visite en prison mais aucune visite de compassion après sa sortie.

En plus, il découvre que ses camarades, en particulier Mavuela Somo et Mbuta Mashakado, l’ont fait chanter une chanson, chanson qui a eu beaucoup de succès, dans laquelle ils se moquent de lui comme un villageois, d’un  » Mowuta « , un mot lingala qui signifie le venant. La chanson s’intitule  » Mapeka  » ou  » Bana Kin « . Tout simplement parce que Jules Shungu était né en province et n’était donc pas considéré par ces deux individus comme un kinois. Alors que nous savons tous que Jules est arrivé à Kinshasa presque bébé et que plus kinois que lui, tu meurs.

En réalité, derrière ce débat stérile de qui est plus kinois que l’autre, se cachait une lutte de leadership au sein de l’orchestre.

Jules Shungu Wembadio est chassé de Yoka Lokole

Au mois de décembre 1976, Jules Shungu vient au Dancing-Bar 1-2-3 de Franco Luambo où son orchestre était en concert. Voulant prendre le micro pour chanter, Mbuta Mashakado lui signifie brutalement qu’il n’a plus le droit de chanter parce qu’il est suspendu du groupe. Certains sympathisants du duo Mavuela-Mashakado vont jusqu’à bousculer physiquement Shungu pour le faire sortir du bar. C’est Sagi Sharufa, l’amie de Jules qui va s’interposer en enguelant les petits voyous. Le couple va quitter le lieu, humilié ! Pesho Wangongo, l’un des proches de Jules, après s’être battu avec l’un des voyous, rejoint Jules et Sagi à la maison.

Sagi Sharufa, Pesho Wangongo encouragent Wembadio à créer son orchestre.

Arrivés à la maison, Sagi Sharufa et Pesho Wangongo, sous l’effet de la colère, vont demander à Jules Shungu Wembadio de créer son propre orchestre. Au lieu de continuer de travailler pour les autres comme c’était le cas dans Zaiko Langa-langa, Isifi-Lokole et, maintenant, Yoka-lokole. Le même soir, le grand ami de Jules, Gaby Lita Bembo, ayant appris la nouvelle de l’humiliation de son ami, arrive à la maison pour compatir avec son pote tout en vociférant contre les  » Yuma  » (poltrons), les  » mbendre  » (cons) de Yoka-lokole, sous-entendu Mavuela Somo et Mbuta Mashakado. Lita Bembo encourage son ami Jules à leur prouver qu’il est le plus talentueux de cet orchestre.

Amazone demande à son mari Wembadio d’arrêter sa carrière musicale

Le lendemain de cette nuit de déception, Jules Shungu va partager avec ses proches ses idées sur son avenir. En ce moment, il se trouve à une bifurcation importante de sa vie. En effet, trois options se présentent devant lui.
La première est celle que lui propose sa femme Marie-Rose Luzolo  » Amazone « . Celle-ci lui demande carrément d’abandonner la carrière musicale parce que depuis qu’il a commencé  » ça ne marche pas ! ». Elle propose à son mari de partir s’installer en Europe avec toute sa petite famille. A l’époque, ils ont deux enfants et elle est enceinte du troisième. Elle dit à Jules qu’en France, il pourrait faire des études et devenir avocat ou journaliste comme le souhaitait le défunt Jules Kekumba, le papa de Wembadio. Pour accentuer la pression sur son mari pour qu’il choisisse son option, Amazone quitte la maison conjugale avec ses enfants et rentre chez ses parents à Bandal.

Sagi Sharufa pousse son ami Wembadio à créer son orchestre.

La deuxième option qui s’offre à Shungu est celle de son amie Elisabeth  » Elou  » Sagi Sharufa et de Pesho Wangongo qui le poussent à créer son propre orchestre parce que ses deux proches croient profondément que Jules Shungu a, enfoui en lui, un génie de la musique qui ne cherche que des opportunités pour s’épanouir. Sharufa et Wangongo restent convaincus que Wembadio est un grand musicien qui s’ignore. Mais celui-ci continue à avoir des doutes sur ses propres capacités. La troisième et dernière option qui est devant Jules est d’intégrer ou réintégrer un autre groupe musical. C’est celle qu’il va choisir.

Jules Wembadio, collègue et admirateur d’Evoloko

Parmi les nombreux musiciens de talent de sa génération, Jules Shungu a beaucoup d’admiration pour le grand chanteur-compositeur Antoine Evoloko Bitumba Bolay dit  » Evoloko Lay-lay « ; avec qui il a évolué pendant 5 ans (1969-1974) dans Zaiko Langa-langa, aux côtés de : Pepe Felly Manuaku, Jossart Nyoka Longo, André Bimi Ombale, Simeon Mavuela Somo, Gina Efonge Isekofeta, Mashakado Nzolantima, Bozi Boziana, Bakunde Ilo Pablo, etc.

Evoloko est révoqué de Zaiko Langa-langa

En 1974, la grande star de Zaiko Langa-langa, Antoine Evoloko, enivré par le succès et l’argent qui exacerbent son arrogance naturelle, est révoqué de l’orchestre pour cause d’indiscipline par DV Moanda et Pepe Felly Manuaku, les véritables patrons de Zaiko. En effet, Evoloko s’absentait de plus en plus aux répétitions et arrivait souvent en retard aux concerts.

Wembadio, Mavuela et Bozi suivent Evoloko

Par solidarité avec leur collègue révoqué de Zaiko, Jules Shungu Wembadio, Mavuela Somo et Bozi Boziana quittent aussi Zaiko. Ensemble avec Evoloko, ils vont créer un nouvel orchestre dénommé Isifi-Lokole au mois de décembre 1974. ISIFI qui veut dire tout simplement Institut du Savoir Idéologique et de Formation des Idoles. Malgré le succès de Isifi-Lokole ou plutôt à cause de son succès, des conflits de leadership apparaissent rapidement au sein du groupe.

La création de Yoka Lokole

C’est ainsi que, au mois de novembre 1975, Jules Shungu Wembadio, Mavuela Somo et Bozi Boziana décident de quitter Isifi-Lokole en le laissant à Evoloko et de créer un nouvel orchestre qu’ils dénomment  » Yoka-lokole « .
Ils seront rejoints au mois de mars 1976 par Mbuta Mashakado qui venait de quitter Zaiko Langa-langa. Et nous venons de voir, au début de cet article, comment Mavuela Somo et Mbuta Mashakado ont chassé Jules Shungu Wembadio de Yoka-lokole.

Wembadio souhaite réintégrer Isifi-Melodia d’Evoloko

Donc chassé de Yoka-lokole, Jules Shungu lève l’option de discuter avec son ami Evoloko pour son retour dans Isifi, qui n’est plus Isifi-Lokole mais Isifi-Melodia, depuis que Lay-Lay est resté le seul maître à bord. Mais le  » Colonel Jagger « , ami de Jules Shungu est lui plutôt favorable pour négocier un retour de Wembadio dans Zaiko.

Wembadio accepte enfin l’idée de créer son propre orchestre

Tout le reste de l’entourage de Shungu s’oppose à cette option et le pousse à créer son propre orchestre. Il finit par accepter la proposition de ses proches (Sharufa et Wangongo, Sacré Zaza . . . ), mais à une seule condition : ne pas recruter des musiciens connus ! C’est ainsi que les auditions rigoureuses vont débuter. Seront retenus. – Au chant: Espérant Kisangani Djengaka, Guimares Kimwabi (Bipoli), Sombele Bonyamo Bilimba (Jadot le Cambodgien), Nsiku Katshunga (Petit Aziza). – A la guitare: Bamundele Ifuli (Rigo Star) et Jules Lingwangwa ( Jiva,), les deux à la guitare solo. Bongonga Kombe (Siriana) accompagnement. Tembo Kilutele (Pinos, à la guitare basse). – A la batterie : Samba Pasi (Patcho Star) et Otis  » Otens  » koyongonda. Lokole: Pafelly Mukulapio ( Itshari).

Festival musical  » Zaïre 1974  » et l’origine du nom  » Viva la musica « .

Le nom de l’orchestre  » Viva la musica  » est retenu en référence au cri de guerre que Jules Shungu avait l’habitude de pousser depuis 1974. Ceci demande une petite explication.

En effet, en prélude au combat de boxe historique opposant deux poids lourds américains Mohamed Ali et George Foreman le 30 octobre 1974, un festival de musique dénommé  » Zaïre 74  » est organisé à Kinshasa, réunissant des stars de la musique d’Amérique et d’Afrique: James Brown, Tina Turner, BB King, Johnny Pacheco et son orchestre Fania All Stars, Celia Cruz pour l’Amérique. Du côté africain, on avait Miriam Makeba et Manu Dibango. Et le Zaïre était représenté par Tabu Ley Rochereau, Abeti Masikini, Franco Luambo Makiadi et son Ok Jazz, Lita Bembo et les Stukas, Zaiko Langa-langa. . .
C’est au cours de ce Festival  » Zaïre 74  » que Jules Shungu Wembadio entend le musicien dominicain Johnny Pacheco pousser ce cri en espagnol :  » Y que viva la musica  » qui veut dire  » Et que vive la musique  » en français. Jules Shungu récupère ce cri, et en 1977, il en fait le nom de son orchestre.

La sortie officielle de Viva la musica

Le 26 février 1977, c’est la sortie officielle de l’orchestre Viva la musica au bar  » Type K  » de Tabu Ley. Le succès est au rendez-vous et il est foudroyant ! Le bar est archicomble et une grande partie du public va suivre le concert en restant dehors. Ainsi commence l’épopée de l’un de plus grands orchestres du Congo qui deviendra, par la suite, une véritable école de musique. Des grands musiciens et des légendes de la musique congolaise sortiront de cette école ou vont collaborer avec elle : King Kester Emeneya Kwamambu, Koffi Olomide le grand Mopao, Reddy Amisi Bailo Canto, Dido Yongo, Fafa de Molokai, Djuna Djanana, Debs Debaba, Petit Prince, Lidjo Kwempa, Maray Maray, Gloria Tukadio, Stino Mubi, Luciana Demingongo, Cele Leroy, Bongo Wende, Sec Bidens, Ping Pong, Awilo Longomba, Joly Mubiala, Safro Manzangi, Tofla Kitoko, Gauthier Mukoka. . .

Jules Shungu Wembadio devient Papa Wemba

A la sortie de Viva la musica, Jules Shungu Wembadio devient  » Papa Wemba « , le  » chef coutumier du village Molokai « . Son orchestre va bouleverser la manière de vivre des jeunes congolais: la coiffure, l’habillement (la Sape), la démarche, les attitudes et le langage vont radicalement changer ! Désormais le credo des jeunes devient : bien sapé, bien rasé, bien parfumé. . . na ba griffes ya somo (avec des grandes marques). Au début des années 1980, Papa Wemba devient une véritable icône de la Jeunesse du Zaïre et du Congo-Brazza. Il devient aussi le porte-étendard du mouvement de la SAPE ! Une légende est née !
Le fils du sergent Jules Kekumba, l’ancien combattant et de Marie Nyondo, l’animatrice des veillées mortuaires, entre dans l’histoire par la grande porte !

Par Thomas Luhaka Losendjola.

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